Drapeau des volontaires de 1792


Paris a sa Tour Eiffel, Bar-Le-Duc sa Tour de l’Horloge, Longeville n’a pas de Tour,
mais un carré de soie prestigieux, dont tous les habitants sont fiers : le drapeau des volontaires
de 1792.
Si cette fierté légitime a permis de conserver jusqu'à nos jours cette relique
vénérable, elle aura pourtant été nuisible à l’état même du drapeau, car à l’instar de ces mères
abusives qui ne veulent point se séparer de leurs enfants, les habitants de Longeville ont
toujours refusé de prêter et encore moins de vendre « leur » drapeau.
Pour comprendre cet attachement jaloux à l’emblème glorieux de leurs ancêtres, il convient avant tout de retourner
un peu en arrière, de ressortir de son fourreau ce drapeau de soie et de le replacer aux mains
de ces fameux « volontaires de 1792 » dont la devise, brodée en lettres d’or, était d’une
émouvante simplicité : « La liberté ou la mort ».
La France se remettait de 1789. La Prise de la Bastille, symbole de la liberté acquise,
restait gravée dans les mémoires.
L’Europe, au début ne s’était pas montrée trop hostile à la Révolution. Les peuples avaient salué avec joie, l’événement de la liberté. On s’embrassait à Petrograd à la nouvelle de la Prise de la Bastille. Les souverains eux-mêmes ne paraissaient tout d’abord pas trop s’émouvoir.


LA PATRIE EN DANGER
Bientôt pourtant leurs dispositions changent. L’empereur et le roi de Prusse prêtent l’oreille aux appels que leur adresse Louis XVI. Ils s’entendent à Pilnitz (1791) puis à Berlin (1792) pour une intervention contre la France.
Les Girondins exigent alors que la guerre soit déclarée à l’Autriche (20 avril 1792).
Les Français attaquent les Autrichiens en Belgique. Ils sont repoussés. Les Prussiens de Brunswick à leur tour s’avancent sur la Lorraine.
On proclame la « patrie en danger ». Dans Paris, le tambour bat, le canon tonne. Des estrades se dressent. Sous les plis du drapeau tricolore, des officiers municipaux reçoivent en foule les enrôlements pour l’armée. Ainsi s’apprêtent à voler à la frontière les volontaires de 1792.
De 1792 à 1794, la Meuse a fourni huit bataillons de volontaires dont celui de Longeville.
Ceux-ci sont entrés dans l’armée régulière au moment de la législative.

HACHE PAR LES BALLES
A Bar-Le-Duc, l’animation fut grande. Une grande cérémonie eut lieu, devant l’église des Augustins (église Saint Antoine). On vit accourir tous les Meusiens prêts au sacrifice suprême. Ils furent légion, Oudinot, en tête. Excelmans au front, les 3 bataillons des Volontaires de la Meuse, auquel était rattaché le fameux « bataillon de Longeville » dont le drapeau de soie abîmé par le temps est là pour le rappeler. Il a conduit nos ancêtres aux victoires de Valmy, Jemmapes et Fleurus.
Certaines déchirures qu’il porte sont attribuées d’ailleurs à des balles reçues à labataille de Valmy. Michelet a fixé le souvenir de ce mouvement en une page célèbre que bien des écoliers d’autrefois ont appris par cœur.
Le panégyrique de ces braves se termine par ces mots : « Et maintenant où qu’ils soient, dans la mort ou dans la vie, morts immortels, savants illustres, vieux et glorieux soldats, ils restent tous marqués d’un signe qui les met à part dans l’histoire. Ce signe, cette formule, ce mot qui fit trembler toute la terre n’est autre que leur simple nom « Volontaires de 92 ».

Après s’être illustré sur les champs de bataille, le drapeau des volontaires de Longeville connut la gloire et la vénération de toute la population.
Il y a quelque 60 ans, on le sortait avec précaution de son fourreau de cuir noir et il paradait avec les pompiers, autour du village, le 14 juillet. Il sut résister aux guerres, résistera-t-il au temps ? En 1870 et en 1914 les habitants cachent la précieuse relique dans le clocher de l’église pour que les « Prussiens » ne le prennent pas.

SAUVE DES PRUSSIENS
En 1889, il aura l’honneur d’être envoyé à la première exposition universelle de Paris, escorté par une délégation de pompiers de Longeville.
En 1939, la Deuxième guerre mondiale éclate.
Mr Emile GEOFFROY, pompier depuis trente huit ans, était alors camionneur aux Moulins des Etablissements Heillette. Il revenait de Neufchâteau où il avait livré de la farine lorsqu’ il fut informé que les Allemands étaient à Verdun.
A Longeville tout le monde se préparait à partir, Mr GOYER, le Maire, en tête : « confier moi le drapeau, dit Mr GEOFFROY, j’ai vu comment cela se passait à la guerre de 14 ». Et c’est ainsi que l’emblème glorieux quitte Longeville dans un camion avec 73 réfugiés qui descendront jusqu'à Limoges.
Mais Mr GOYER craint toujours pour le drapeau car les troupes allemandes progressent. Il essaye d’arracher le tissu d’après la hampe de façon à le mettre plié dans une botte de ravitaillement. Il s’aperçoit vite que c’est impossible sous peine de détruire à jamais le drapeau. Avec la complicité du curé de la paroisse Saint-Mathieu, de Limoges, le précieux
trophée sera finalement caché derrière un autel de la sacristie.

CACHE A LIMOGES
Il y restera toute la durée de la guerre, caché avec un lot d’armes que l’on ne retrouvera pas. En 1944, chacun est revenu chez soi. C’est alors que Mr Emile JACQUOT décide d’aller le rechercher à Limoges. « Moi, je payerai le train » explique Mr GEOFFROY.
Grâce à lui, finalement, le drapeau fut sauvé du pillage, ou-qui sait de la destruction. L’accueil triomphal que fit la population de Longeville à son emblème, fut incroyable. Des propositions furent faites à la commune pour le rachat du drapeau, voire seulement sa restauration . M. Jacquot gardait jalousement son trésor, qu’il s’était même proposé de cacher dans une poutre creuse de sa cave, afin d’éloigner les « curieux » et les importuns.
Les années passèrent et le drapeau qui ne voyait le jour qu’au 14 juillet, s’effilochait, se détériorait, si bien que plus personne ne le sortit de son fourreau. Pourtant, en 1953, quelqu’un s’avise de l’absence de grilles autour du monument aux morts. Le 8 juillet 1953 « l’Est Républicain » écrit « le monument aux morts n’est pas entouré. Pour y remédier, la municipalité décida que le drapeau des Volontaires de 1792 qu’elle conservait jalousement allait l’aider à trouver les fonds nécessaires à l’installation de la grille qui faisait défaut. L’emblème de ceux qui avaient pour fière devise : « la liberté ou la mort » vient d’être photographié et va être édité en carte postale qui seront vendues au bal du 13 juillet ainsi que le lendemain, fête nationale. Il sera également exposé le 14 en mairie de 8 h à 11 h.

DETERIORE PAR LE TEMPS
Ainsi donc le vieux drapeau avait repris du service, mais de tous ceux qui le revirent, effiloché, les couleurs délavées, personne ne s’émut de l’état de ce prestigieux cadavre que l’humidité et les rongeurs allaient profaner. La grille du monument aux morts fut achetée, et le drapeau fut remis dans sa gaine, d’où il n’est pratiquement plus sorti et d’où il ne serait sans doute jamais sorti, si Mr MOURAUD, n’en avait entendu parler par les anciens .
Une carte postale fut retrouvée dans une boite en carton et changea de main en même temps que de version. L’exposition « Oudinot et son temps » relatée en détails par notre journal fut le prétexte la remise au jour du fameux drapeau . Grâce à l’amabilité du maire de Longeville, Mr WIRTZ, qui le conservait chez lui pour qu’il s’abîme moins, Mr MESLE, conservateur des musées de la Meuse put enfin ressortir de sa gaine l’emblème des Volontaires auquel personne n’osait plus toucher, tant on craignait de la voir partir en poussière . En vérité, le drapeau est en bien triste état, les couleurs sont plus que passées, les bords ont été « raccommodés » au papier collant et l’ensemble ne tient plus qu’à quelques fils....

BIENTOT RESTAURE
Mr MESLE a longuement examiné la malade et son diagnostic est formel : si on laisse ce drapeau tel qu’il est, d’ici quelque années on n’en parlera plus.Alors ? Que faire ? les habitants de Longeville laisseront ils périr celui pour qui leurs ancêtres eurent tant de vénération ? Leur fierté légitime sera t-elle cause de la mort de ce prestigieux emblème ?
Il n’est pas question de le donner à qui que ce soit. Il est la propriété de la commune.
Pourtant il n’y a qu’une seule solution et c’est Mr MESLE qui la donne : « Pour remettre en état ce drapeau, il faudrait entre 1500 et 2000 Francs ; l’Etat pourrait octroyer ce crédit acondition que ce drapeau soit confié au musée du Barrois ».
« Confié, pas donné », précise bien Mr MESLE. Mr WIRTZ s’est rangé sur l’avis de Mr le conservateur. Il estime plus sage en effet de voir sauvé ce drapeau même s’il doit quitter un grenier de Longeville. « Quelle mère refuserait de se séparer de son fils en danger, si on peut le sauver ailleurs que chez elle ? Nul doute que le bon sens l’emportera et que les habitants de Longeville en général, et les conseillers municipaux en particulier auront à cœur de sauver l’un des deux plus vieux drapeau français ( l’autre étant celui de Moseville en Seine Maritime).
Ainsi pourra être transmis à la postérité l’emblème le plus éloquent, le symbole le plus vrai, de la valeur et du courage de nos ancêtres ici « Volontaires de 1792 »

Le drapeau des volontaires est  exposé salle du Conseil .

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